Pour l’administrateur de Gainde 2000, Ibrahima Nour Eddine DIAGNE, le voyage du Premier ministre en Chine est une bonne opportunité pour le secteur privé

Pour l’administrateur de Gainde 2000, le voyage du Premier ministre en Chine est une bonne opportunité pour le secteur privé. Dans cet entretien accordé à «L’As», l’entrepreneur sénégalais considère, en effet, la Chine comme une excellente université pour mettre en exergue la manière dont un état doit inventer ses champions.

Le Premier ministre Ousmane Sonko , qui est en visite officielle en Chine, a mis l’accent dans ses différentes interventions sur le partenariat entre secteurs privés pour parler des deux pays. qu’est-ce que la Chine peut apporter de nouveau aux entrepreneurs sénégalais ?

La Chine, dans le contexte de guerre économique dans laquelle elle se trouve, cherchera à séduire de plus en plus les pays émergents, où, en voie de l’être. Le Sénégal a une stratégie déclinée dans la Vision 2050 et au sein de laquelle les infrastructures et l’industrialisation occupent une bonne place. L’axe asiatique semble donc très pertinent dans la mesure où nos ambitions de développement exigent du partenariat, des technologies, des compétences, de l’innovation et des investissements massifs. La Chine coche quasiment toutes les cases. Par ailleurs, la volonté de mettre en avant le secteur privé sénégalais est sans doute le présage d’une volonté ferme d’aller à la fois vers du transfert de technologies et des investissements privés important pour ne pas alourdir l’endettement de l’Etat, tout en favorisant le développement des infrastructures et l’accélération du processus d’industrialisation.

Mais est-ce que le secteur privé sénégalais est assez solide pour entretenir des relations fructueuses avec leurs homologues chinois ?

Le secteur privé sénégalais est à la hauteur de tous les défis. On se fait souvent de mauvais procès sur nos capacités à exécuter des missions dans le respect strict des délais, avec toutes les exigences de qualité et avec des coûts compétitifs. C’est notre système de marché public qui ne met pas suffisamment en valeur le meilleur de nos entrepreneurs du secteur privé. Il y a des technologies que nous ne possédons pas et que nous devons impérativement acquérir par des alliances. La Chine est une excellente université pour mettre en exergue la manière dont un Etat doit inventer ses champions. Le défi pour le Sénégal, c’est de mettre en place des dispositifs stratégiques pour accompagner vers le succès et la croissance des entreprises du pays. Tant que nos allons vers la Chine, ils transporteront plus de touristes et de commerçants que d’industriels, le gap qu’il nous reste à combler sera visible et manifeste.

Sonko semble  »snober » les pays occidentaux au profit de ce pays. est-ce que vous comprenez cette option des nouvelles autorités ?

Je ne pense pas que l’expression « snober » traduit la démarche de nos autorités vis-à-vis de l’occident. Le Sénégal doit avoir pour premiers partenaires les pays pour lesquels la libre circulation des biens et des personnes est de mise. C’est donc l’Afrique qui doit être notre terrain de jeu prioritaire. N’ayant encore pas une maturité industrielle, soutenue par des infrastructures adéquates, nous sommes tenus d’être un pays ouvert. Les nations occidentales ne sont pas bannies de notre système de construction de richesses et de bien-être. Je pense que les pays d’Asie, du moyen et du proche orient sont plus accessibles pour la plupart des enjeux que nous considérons. Le partenariat avec les pays européens et les Amériques ont pleinement leur place dans notre économie. Le changement substantiel que j’observe, c’est que nous sommes de plus en plus conscients que le surendettement n’est pas une option et que le secteur privé est le véritable moteur de la croissance économique. Sur le plan diplomatique et politique, nous restons dans la même tradition de relations de bonnes qualités avec toutes les nations partageant nos valeurs et notre idéal.

Vous êtes dans le secteur du numérique, secteur qui fait partie des thèmes débattus au Forum d’été de Davos. Où en est la Chine en matière technologique?

Qu’est-ce que le Sénégal peut faire pour bénéficier de l’avancée technologique de ce pays ?

La Chine se détache de plus en plus en termes de maîtrise technologique, y compris pour le volet numérique. Comme toute nation responsable, la Chine protège son économie et arme son secteur privé. Sa dépendance technologique est quasi nulle. Nous devons tisser avec la Chine des relations gagnant-gagnant. En mettant en place des ponts économiques judicieux avec une grande puissance technologique comme la Chine, nos politiques de soutien à l’innovation et notre stratégie d’industrialisation pourraient aboutir plus rapidement. Cependant, nous ne devons pas perdre de vue que nous devons développer nos capacités de négociation et de valorisation de nos intérêts, quel que soit le partenaire avec lequel nous traitons. Jamais un vendeur ne doit déterminer la préférence d’un acheteur. L’Etat doit beaucoup investir sur les dispositifs d’accompagnement du secteur privé avec pour seule finalité, l’émergence d’un tissu de PME/PMI, capable de servir le marché domestique et d’autres pays africains. Mettre en place des zones économiques spéciales bien maîtrisées participe de cette nécessité. Notre ambition de digital nation, outre le savoir-faire national, peut s’appuyer sur la Chine et sur d’autres pays pour, d’une part, ne pas rentrer dans une dépendance contre-productive, d’autre part, pour assurer la diversité de nos options.

Ce régime prône la souveraineté économique. Mais dans un contexte de monde globalisé et dans un contexte où le Sénégal est un pays en voie de développement, comment, selon vous, les nouvelles autorités peuvent-elles faire pour allier souveraineté et ouverture économique ?

Les deux expressions ne sont pas antinomiques. La souveraineté, c’est un exercice que l’on doit pratiquer différemment selon les sujets, les enjeux, nos propres limites et nos besoins. La souveraineté, ce n’est ni une religion, ni une doctrine. C’est un slogan que toutes les nations libres affirment sans complexe et qui finit par devenir un marqueur positif pour l’économie mondiale. L’ouverture est une nécessité absolue car nous sommes dans un monde d’échange et d’interdépendance. L’affirmation de notre souveraineté nous permet de ne plus jamais consacrer nos ressources publiques aux développements d’entreprises étrangères, surtout lorsque la réciproque est inenvisageable. C’est une démarche d’ensemble que tout le continent africain devrait adopter pour faire en sorte que nos rivalités héritées de l’ère coloniale ne nous conduisent à préférer donner à des nations déjà riches nos marchés au double du prix pour obtenir la moitié de ce que le voisin était disposé à nous offrir à prix réduit. Cette maladie inconsciente qui nous a amené à rater la quasi-totalité de nos plans de développement depuis 6 décennies doit être définitivement éradiquée.

Source L’As quotidien